Tous les contes du Moyen-Orient et du Caucasse

Le soleil était chaud, le chemin long, et le paysan transpirait déjà. Chaque matin il se levait tôt, et marchait longtemps pour arriver à son médiocre champ qui donnait, malgré ses efforts, à peine de quoi nourrir sa famille. Et chaque soir il rentrait, et voyait  la grande étendue de terre fertile qui s’étendait devant sa maison. Mais ce champ-là, comme lui rappelait souvent sa femme, appartenait aux djinns, et ainsi le lendemain il repartait vers son propre champ. Vint un été cependant où les nuages se firent si rares, et le soleil si brulant, que son champ se fissura, craquela, et que rien n’y poussa. Alors un matin, malgré les avertissements de sa femme, au lieu de suivre son chemin habituel, il alla au champ des djinns, et commença à en enlever les pierres pour pouvoir le labourer. Aussitôt une voix se fit entendre, venue de partout et nulle part. « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, je vais t’aider ! » Et à côté du paysan, les pierres commencèrent à voler hors du sol.

Le lendemain, quand le paysan revint et se pencha pour continuer son ouvrage, deux voix se firent entendre, venues de partout et nulle part. « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! » Et de deux endroits à la fois, les pierres commencèrent à voler hors du sol.

Encore deux jours furent nécessaires pour nettoyer tout le champ. Le matin suivant, le paysan revint pour labourer. Seize voix, venues de partout et nulle part l’interpellèrent : « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! » Et en un rien de temps, le champ fut labouré.

La femme du paysan le suppliait chaque soir d’arrêter avant qu’une catastrophe n’arrive. Les djinns n’étaient pas connus pour aider les humains, et ça ne pouvait certainement pas continuer aussi bien. Mais l’homme était têtu, et la rassurait en lui disant que tout se passait bien, et que jamais le travail n’avait été aussi facile qu’avec cette aide inespérée !

Très vite le champ fut semé, arrosé, et bientôt il n’y eut plus qu’à attendre que le blé pousse. Un matin, le paysan se trouva si bien dans son lit que, pour la première fois aussi loin qu’il se souvienne, il eut envie d’y rester. Il envoya alors son fils surveiller le champ, pour en chasser les oiseaux qui viendraient picorer le grain.

Le jeune garçon remplit sa tâche toute la matinée, mais vers midi il commença à avoir faim. Se disant que son père n’avait pas besoin d’autant de blé, il en cueillit un brin et en grignota les graines. Aussitôt 64 voix se firent entendre, venue de partout et nulle part. « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! » Et en quelques instants, tout le champ fut dévoré. Le père, voyant un nuage de poussière de loin accourut, et trouva son fils au milieu de la récolte ravagée. Furieux, il le gifla, avant d’entendre le grondement de centaines de voix : « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! ». Pétrifié, le paysan vit la tête de son fils valser au gré de centaines de coup qui lui ravagèrent le visage, et aplatirent son crâne. De désespoir il s’arracha les cheveux, et entendit à nouveau le grondement, venu de partout et nulle part : « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! » Et des touffes de cheveux s’arrachèrent de son crâne jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul. Alors sa femme, attirée par les cris, arriva enfin. Quand elle vit le crâne chauve et sanglant de son mari, et son fils mort à ses côtés, elle éclata en sanglot. Alors, pour la dernière fois sur le champ des djinns, les voix surgirent de partout et nulle part. « Qu’est-ce que tu fais ? Attends, on va t’aider ! » Des torrents de larmes jaillirent de l’air, et balayèrent tout : les restes de la récolte, le paysan, sa femme, son fils, et leur maison. Là où se tenait la maison d’un pauvre paysan, ne resta qu’un immense lac, qu’on appelle le lac des djinns.